Rémy Artiges est un photographe de son temps : il photographie des animaux morts. Au beau milieu du battement de paupières géologique qui aura vu basculer la planète de l'état de jardin luxuriant à celui de vivarium pour humains, le voilà qui abandonne la fable nostalgique de la vie sauvage pour regarder les tout petits morts, fixés dans le ventre de son appareil comme dans celui d'un insatiable oisillon. La moindre photographie animalière, aujourd'hui, documente une disparition imminente. Lorsque ces dépouilles minuscules, enfermées comme dans un tombeau, projettent leur ombre sur le monde, c'est plus net encore.
Mites, éphémères, fourmis, sauterelles : quoiqu'on les imagine de moindre importance que les baleines et les faons, eux aussi s'évaporent ; eux aussi disent quelque chose de l'extinction de masse en cours. Fossoyeuses de nos vêtements abandonnés, les mites ont d'ailleurs un tempérament inné de fantômes. Ici elles s'animent inexplicablement et, passe-murailles, remontent l'objectif jusqu'au dos numérique, impressionnant les clichés comme un modèle refusant de mourir. Scotchées dans la machine, embaumées au saint des saints du temple technologique, les revenantes ailées d'Artiges murmurent l'écho de leurs terribles absences.
Impossible d'ignorer la rémanence de ces poussérieuses momies insectoïdes plus longtemps : les fourmis manquent aux artistes allongés dans l'herbe, même s'ils prétendirent longtemps ne pas les sentir dans leur cou. Ces vies insaisissables viennent désormais parasiter les images d'une réalité simultanément salie et reconquise par la lumière. La peau morte d'une exuvie de sauterelle suffit à ensemencer le soleil, change un tunnel en chemin, du front de la silhouette aux profondeurs de son abdomen, lieu de l'introspection. Car ces ombres portées sont les nôtres, choses humaines ne pensant voir que des bêtes qui ne leur ressemblent pas. Le mitage, qui en urbanisme désigne le grignotage d'écosystèmes complexes, est d'abord un art humain, que l'on pourrait après tout nommer "mythage": car la colonisation des animaux par les humains repose d'abord sur une idéologie plus bourdonnante qu'un essaim de guêpes. Tandis que nous rongeons le ciel dans des carlingues plus monstrueuses et opaques que des fourmis géantes, nous commençons tout juste à la nommer aussi : spécisme.
Camille Brunel
Rémy Artiges is a photographer of his time: he photographs dead animals. In the middle of the geological blinking of the eyelids which will have seen the planet rock from the lush garden state to that of a vivarium for humans, here he abandons the nostalgic fable of wildlife to look at the tiny little dead, fixed in the belly of his camera as in that of an insatiable young bird. The slightest animal photograph today documents an imminent disappearance. When these tiny bodies, enclosed as in a tomb, cast their shadow on the world, it is even sharper.
Mites, mayflies, ants, grasshoppers: although we imagine them to be of less importance than whales and fawns, they too evaporate; they too say something about the ongoing mass extinction. Burrowing from our abandoned clothes, moths have an innate temperament of ghosts. Here they come to life inexplicably and, through the walls, move the lens up to the digital back, impressing the clichés like a model refusing to die. Tucked into the machine, embalmed at the holy of holies of the technological temple, the winged ghosts of Artiges whisper the echo of their terrible absences.
Impossible to ignore the persistence of these dusty insectoid mummies any longer: Artists lying in the grass miss the ants, even if they pretended for a long time not to feel them around their necks. These elusive lives now parasitize the images of a reality simultaneously soiled and reconquered by light. The dead skin of an exuvia grasshopper is enough to sow the sun, changes a tunnel on the way, from the forehead of the silhouette to the depths of its abdomen, place of introspection. Because these drop shadows are ours, human things thinking only of seeing animals that do not look like them. Urban Sprawl or « Mitage », which in urbanism planning refers to the nibbling of complex ecosystems, is first of all a human art, which one could after all call "mythage": because the colonization of animals by humans rests first on a more ideological buzzing as a swarm of wasps. As we gnaw at the sky in cabins more monstrous and opaque than giant ants, we are just beginning to name it too: speciesism.
Camille Brunel